Dans mon pain, il y a

Est-ce parce qu'il y a quelques jours, j'ai eu l'occasion de rencontrer des anciens compagnons (littéralement, avec qui on partage le pain) que j'ai eu envie de partager ce texte, écrit en 2010 ? Sans doute.C'est que cette femme m'a beaucoup touchée en me disant avoir regretté longtemps mon pain. Quel hommage précieux, une pépite pour mon p'tit coeur ;-) ! (Et ce mot de pépite n'est pas choisi au hasard : c'est que les p'tits pains aux pépites de chocolat noir avaient leurs aficionados - nous les premiers :-) !

Alors, ce texte, je l'avais écrit, pour une AG. Et plutôt que de ré-écrire l'histoire, je vous livre l'introduction d'alors.  

Ce texte, j'ai écrit pour parler du pain, de notre produit. Des mots jetés rapidement sur la papier, à l'occasion de l'AG de l'AMAP, parce qu'ils étaient déjà là, dans la tête et dans le coeur. Des mots en réponse aussi, avouons-le, à l'arrogance d'un client occasionnel, qui hésitant entre mépris et condescendance, nous a reproché la mauvaise conservation du pain (« il était rassis, votre pain ! »), quand cela n'était pas de notre fait.

"Ah ? [...]  - Oui, le pain pourrit dans un sac plastique, surtout après une semaine !", avons-nous déjà du expliquer. Le pain - même au levain - reste un produit "frais".

 

Bref, c'est un texte écrit non pas pour nous dédouaner de nos responsabilités – on accepte les remarques fondées et constructives - mais rédigé pour expliquer notre produit et faire reconnaître qu'on ne peut balayer d'un revers de main les efforts et le travail de l'autre, « comme ça ». Re-bref ! Le « je » a été utilisé ici mais reprécisons-le : la boulange se fait chez nous à 4 mains. Les mots de vocabulaire propre au métier de la boulange utilisés sont signalés en italique.

 

Dans mon pain, il y a

 

 

 

Il y a de la farine, de l'eau, du sel, du levain.

 

Il n'y a « que » ça, je le dis, je le répète souvent. Car il est dit que beaucoup de mes confrères utilisent des farines et beaucoup d'autres produits, de la poudre de perlinpainpain... Mais bref, ne soyons pas polémiques.

 

 

 

Dans mon pain, il n'y a donc que de la farine, de l'eau, du sel, et du levain. Il y a aussi de la sueur.

 

La sueur qui coule, dans les champs, alors qu'on enlève les gros cailloux avant l'emblavement, C'est la sueur chaude avant les sueurs froides qu'on a eu, cette année encore, en se demandant si la moisson allait bien se passer...

 

La sueur à transporter le bois, de chez le voisin à chez nous, à le couper, à le fendre, ...

 

Ce sont de grosses gouttes de sueur à maintenir le feu en activité les journées de boulange.

 

C'est de la sueur à « piqueter » les meules du moulin qui s'usent, se bourrent et s'encrassent, surtout dans la moiteur estivale ! Démonter le moulin, ôter la meule courante et c'est nous qui finissons gisants (« gisante » est le nom donnée à la meule de pierre fixe des moulins).

 

Le pain, c'est aussi des larmes d'énervement, salées comme l'eau du pain. Enervement de ne pas y arriver, à voir les pains renoncer de lever parce que le temps ne s'y prête pas ou que - plutôt - j'oublie de lui laisser le temps.

 

Le temps c'est du pain béni qu'hélas qu'on a pas toujours !

 

Ce sont des larmes d'agacement parce que la pâte colle aux bannetons (elle a décidé de rester coucher ; la couche étant le nom donné au tissu de lin où les pains lèvent), ou parce que la pâte retombe comme un soufflé raté.

 

 

 

MAIS Le pain, c'est aussi surtout, le plaisir.

 

Le plaisir de mettre les mains à la pâte, dans la pâte, de faire couler la farine toute fraîche, de souffler dessus et d'en recouvrir le nez de ma fille.

 

Le plaisir de voir mon garçon, allongé dans le son, qui découvre là les plaisirs simples, les petits riens...

 

Le plaisir de toucher, de « sentir » la pâte entre ses doigts et de sentir son odeur acidulée

 

Le plaisir de tendre la peau du pain, et de la voir se tendre encore sous l'action du levain

 

Le plaisir d'enfourner après l'avoir scarifié d'un geste qu'on espère sûr pour ne pas le déchirer,

 

Le plaisir de la bonne odeur dans le fournil, de s'entendre dire qu'on sent bon la farine – tous les paysans ne sont pas ainsi complimentés....

 

Le plaisir de s'entendre dire, ose-je ?? qu'on a de belles miches, qui rappellent celles maternelles de la région d'à côté ?? !

 

Le plaisir enfin de le défourner, de le toquer, et de le croquer !

 

 

 

Bref, le plus important, c'est le plaisir de faire plaisir - on l'espère - avec un pain bon « comme du bon pain », un produit de la ferme digne, qui sait, de tous les palais ?!

 

 

 

Le pain, c'est tout ça. La boulange, c'est exigeant comme tous les métiers de la terre, il oblige à rester humble. On ne maîtrise jamais tout, et même peut être jamais rien tout à fait !

 

 

 

Johanne

 

 


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