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la femme de la galerie

 

 

J’entre dans la galerie. Entre deux librairies.

 

Une femme, elle assure la surveillance. Elle me laisse regarder.

 

« C’est beau, engage-t-elle.

 

J’sais pas si c’est une question ou une affirmation.

 

- Oui.

 

- Bel univers hein. Poétique. Le voyage… ». Elle finit pas sa phrase ou je n’écoute plus. Je regarde ces toiles. Cet homme seul, ce paquebot qui s’en va au loin. Je regarde la matière, le papier marouflé. La peinture, les coups de pinceaux. J’observe. Les couleurs, éteintes, grisées, pastel. C’est beau.

 

« C’est un peintre du voyage. Peu représenté. Pas connu en région. Il est de Marseille. Il expose peu. Je l’ai repéré sur un salon car je les parcours, les salons […] ».

 

Elle monologue. Elle s’écoute.

 

 

« J’ai ouvert cette galerie, j’avais envie d’aider des jeunes, la création. […] Je suis revenue dans la région, j’avais un lieu, j’avais envie de donner la chance à des artistes ».

 

Je regarde les toiles. L’artiste est poète, oui, certainement. Je ne la contredirais pas.

 

 

Je passe dans la salle 2. En arrière-plan. Un peu renfoncée. Des photos. « Oui, ici un style très particulier, très personnel ; là, un univers très poétique, encore. Oui, deux artistes, deux univers : du photo-montage intrigant, de la photo de rue ».

 

Elle monologue toujours.

 

 

« Et vous, vous faites quoi ? finit par me demander la femme. Politesse ou sondage ?

 

- Artiste ».

 

 

J’attends. Ça se fait pas attendre. Une fois sur deux, ça agace l'interlocuteur-galeriste.

 

Ça l’agace.

 

« On n’arrête pas d’être démarché. Vous êtes la troisième (ou la quinzième, j'sais plus) à passer depuis … ».

 

 

Je l’écoute, d’une oreille. Seulement, j’avoue : une oreille suffit. Elle me gonfle la Parisienne de retour dans son pays, elle me fatigue la Parisienne qui a les moyens. Elle m’use, la Parisienne qui donne sa chance aux artistes. Elle me gonfle la galeriste qui me laisse même pas apprécier les images accrochées. Elle me gonfle la galeriste qui m’a gâchée le moment - le plaisir de l’expo, d’admirer les toiles d’un confrère qui a pour qualités essentielles* d’être coté et d’être d’ailleurs.

 

Ça me gonfle. J’ai pas envie de me dégonfler. Voire même un peu de provoquer.

 

Dans mon sac, là, j’ai "mon" bouquin d’images. De terriennes. Je le lui mets dans les mains, presque. 200 photos, du noir, du blanc.

 

Elle feuillette, du bout des doigts, du bout des yeux.

 

Elle me rend le livre.

 

« Pas mon univers », je crois qu’elle susurre.

 

 

Je m’en vais.

 

La tête pleine de réflexion sur le monde, qui tourne, à l’envers ou à l’endroit. Oui, la valeur tient souvent à rien.

 

Johanne, septembre 2021

 

 

* il s'agit d'une généralisation non pas hâtive mais (hélas) constatée.

 


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